Aujourd'hui, un drame a eu lieu au bureau. Stéphanie, ma petite assistante a reçu un coup de téléphone. Quelques mots, puis elle a fondu en larmes.
J'ai eu l'occasion d'avoir des chagrins et de voir des gens chagrinés, dans ma chienne de vie. Celui-là était de ceux qui écrasent ceux qui le ressentent, qui les excluent du monde des vivants. Ses yeux ne voyaient plus, sinon des plans qui se déroulaient devant ses yeux et qui m'était inaccessible.
J'ai abandonné "THREE", le serveur n°3, qui déconnait comme à son habitude. Il est des moments où les priorités vont à l'humain, et rien qu'à lui. J'ai fais rouler ma chaise jusqu'à son bureau. Je n'osais pas la toucher. La fixité de son regard était telle qu'elle transmettait sa raideur à tout son corps. Que faire? Si je lui prenais la main, peut-être que Stéphanie allait se casser, s'effondrer. Il n'est rien de plus fragile que l'être humain en naufrage, sur le point d'être englouti par une réalité dangereuse pour son esprit.
Je suis resté là, à côté d'elle, espérant que ma présence attirerait son attention si elle pouvait émerger de sa souffrance juste un moment. Quelqu'un poussa la porte. C'était Steve. Le regard que je lui ai jeté devait être un coup de poing. Il le reçu en pleine gueule. Il referma la porte aussi vite qu'il l'avait ouverte.
L'incident fut sans doute salutaire, car Stéphanie me regardait maintenant, un peu effrayée. Mon regard se radoucit immédiatement. Je lui fit la petite grimace qui la fait rire habituellement, elle se mit sangloter cette fois. Le silence était rompu, il pouvait y avoir communication. Je pouvais la toucher cette fois. Je fis tourner sa chaise pour qu'elle soit face à moi. J'ai retiré sa mèche qui était dans ses yeux. J'ai pris un mouchoir en papier et j'ai essuyé doucement ses joues, et je lui ai mis dans la main, en lui disant "essuie tes yeux, Ninie". Un moment, puis "tu veux qu'on en parle?". Elle a fait non de la tête, mais elle a tout de même dit "il est mort" avant de tomber dans mes bras et de pleurer de plus belle.
- - - -
Voilà, c'était un moment de réalité dans notre monde de virtualité. Parfois, on voit des drames à la télévision, et les souffrances qui s'affichent nous apparaissent comme un décor un peu incongru, pas comme une réalité ressentie. C'est peut-être parce que les prises de vue ne sont pas recherchées et que les acteurs de la réalité ne sont pas des professionnels.
Vous ne connaissez pas Stéphanie, moi je la connais. Elle vient d'avoir 19 ans et son boulot chez nous est son premier travail. Ayez une petite pensée pour cette jeune fille.